lundi 19 mars 2018

Combat rock

Acte 1 scène 1


La scène se passe dans un grand appartement parisien, de larges baies vitrées offrent une vue imprenable sur la capitale. 
Les invités ne se connaissent que peu, il n'y a pas d'anniversaire, pas de crémaillère, juste quelques amis d'amis. La fête bat son plein, des clans bien distincts se sont formés et les conversations diffèrent d'un groupe à l'autre. 
Là on échange activités professionnelles, ailleurs histoires plus personnelles, garde d'enfants, rénovation d'appartement, ... la cuisine ici n'est pas "the place to be", tout se joue en extérieur.

Elle va se resservir un verre, elle sent déjà l'alcool lui tourner un peu la tête, mais ce soir c'est de ça dont elle a envie.  
Un moment de soft ivresse, la caresse de l'abandon temporaire dans une autre atmosphère. 

Il s'approche d'elle, et galant propose de lui servir un autre verre. 
Un sourire, quelques banalités, de cet échange né un nouveau clan en duo. 

Elle : " Merci, je pense que je vais aller en griller une sur le balcon "
Lui : " Je t'accompagne "
Elle : " Tu fumes ? "
Lui : " Non toujours pas ! "




Ils se connaissent peu, mais finalement ce peu est assez intime, quelques confidences, de menues indiscrétions par le biais de la personne qui les a présentée et ils ne sont déjà plus des inconnus. 

Lui : " Cette vue ! "
Elle : " Oui c'est époustouflant ! "

La Capitale s'étend à perte de vue à 360° ou presque ...
L'immeuble est un des plus hauts de Paris, rien ne vient masquer cet horizon de jais ponctué de lumières jaunes, blanches et rouges. 
Au loin se dessinent les monuments, la meringue un rien orangée du Sacré Coeur, les tours aux formes saillantes de la Défense, le tracé des rues et les noeuds des rond-points.

Lui : " C'est quoi là bas ? "
Elle : " Où ? "
Lui : " Tu vois la Tour Eiffel ? "
Elle : " Oui, ... un peu, une patte, ... la Tour Montparnasse, nous masque un peu la Dame de fer ! " 
Lui : " Là tu vois, les lumières blanches qui clignotent pas loin de la grande roue "
Elle : " Oui ..."
Lui : " Je me demande si ce n'est pas le Grand Palais "

Qu'importe la question, qu'importe la réponse. 
Prétexte. 
L'espace ponctuant la question a dévoré celui qui les séparait physiquement, il fait frais, leurs avant-bras se touchent désormais. Ce point de contact leur apporte une chaleur dont aucun des deux ne souhaitent désormais se priver. 
Ce rapprochement épidermique s'est fait naturellement, cet attouchement est troublant. 



Lui : "Alors ? "
Elle : " Alors quoi ? "
Lui : " T'en es où ? "
Elle : " C'est toi qui me demande ça ? "
Lui : " Oui pourquoi ? "
Elle : " Parce que mon cas est simple comparé au tien "
Lui : " Oui, mais moi c'est encore frais "
Elle : " Belle sortie de Joker ! "
Lui : "... hum ... " 

Il ponctue son silence d'un large sourire, se retourne et admire à nouveau la vue, ... au loin le bruit d'impatients derrière leur volant. Elle allume une autre cigarette, il ne fume toujours pas. Ils jettent un oeil à l'intérieur de l'appartement, les gens dansent, les gens rigolent ... il est minuit.
Elle pense au morceau Midnight Dancing des Rita. 

Elle : " J'avoues que j'ai du mal à te suivre, c'est un peu comme Dallas "
Lui : " T'as raison, beaucoup d'images, et pas vraiment de fond "
Elle : " Il te faut peut être encore un peu de temps "
Lui : " Des fois je me dis que c'est mort pour moi "
Elle : " Il est juste trop tôt peut-être "
Lui : " Pourtant je les aime bien, mais ..."
Elle : " Mais, c'est pas ... c'est pas encore ça ..."
Lui :  " Voilà ! "

Un invité sort pour fumer. 
Elle et Lui se regardent, dans leur yeux s'inscrit "Fais chier, do not disturb, vas voir ailleurs !". 
Ils n'ont envie de parler qu'entre eux deux. 
L'invité fumeur est rapidement rejoint par un autre. Les intrus et leur paquet de feuilles à rouler rejoignent rapidement une autre extrémité du balcon. 
Satisfaction.

Elle : " Tu verras, ça viendra, ça re-viendra "
Lui : " Je sais pas si ..."
Elle : " A trop chercher on ne trouve pas ... "

Il court après, elle le sait, il comble, il le sait.





Lui : " Et toi alors ? "
Elle : " hum ... Secret défense "
Lui : " T'es chiante, en plus je sais ! "
Elle : " Je sais que tu sais ! "
Lui : " Normal, elle sait pas tenir sa langue "
Elle : " Pas grave ! "
Lui : " Alors ton plan ? "
Elle : " Quel plan ? "
Lui : " Tu vas pas me dire que t'as pas un plan ? "
Elle : " Pas certaine d'avoir ... un plan ni même des plans d'ailleurs .... " (sourire de connivence)
Lui : " Un partout, toi non plus alors ! "
Elle : " On ne joue pas dans la même catégorie, tu as plus d'atouts et de dames dans ton jeu que moi "
Lui :  " Et ? je suis un salaud c'est ça ? "
Elle : " Je n'ai rien dit de tel, Don Juan ! " (tendre rictus)

Quelqu'un ouvre la fenêtre, la musique vient faire une pause dans leur silence. 

Lui : " Ok ... esquive rotative, t'as pas répondu à ma question "
Elle : " Touchée, ... "
Lui : " T'as pas peur du vide ? "
Elle : " Non, le vide ne m'effraie pas, le combler par dépit c'est pas pour moi ".
Lui :  " Et, tiens prends ça ! "

Les bruits étouffés de la ville s'invitent dans les points de suspension de leur conversation.
En bas une dispute éclate, une voix beugle " Dégage ! ".

Elle : " C'est de ça dont j'ai le plus peur je crois "
Lui : " Hey Xena, tu lâches un peu ton armure et ton glaive, des fois ? "
Elle : " Tiens, un nouveau pseudo je l'avais pas celui là ! "
Lui : " On s'est tous grillé au moins une fois tu sais et la peur ..." 
Elle : " N'évite pas le danger, je sais, ... je suis fatiguée de rebondir, je voudrais juste me poser "

Le calme revient dans la rue, des rires percent les baies vitrées.  Ils regardent à nouveau ce panorama à couper le souffle.  Cet horizon qui mange les mots et qui réduit à l'essentiel leur échange.

Elle baisse les yeux, se penche légèrement comme pour voir quelque chose en bas, ... tout en bas.  Il suit son mouvement et se penche à son tour.

Elle : " On est au combien déjà ? "
Lui : " 32ème "
Elle : " C'est haut ! ça colle le vertige ... je dois rêver trop fort* " 

Si proches et si loin à la fois, un abîme d'impossibilités les rejoint et les attire tout autant. 
Les liens tendres entre éconduits, les confidences entre errances et absences, les manques et les manquements. Les envies inassouvies, les peurs, les petites folies, les coups de foudre, les coups du sort, les déceptions, autant d'indiscrétions à se confier.
Les déboires amoureux et les peines de coeur rapprochent ceux qui ont été par d'autres éloignés, les confidences font de belles nuits sur les canapés feutrés ou sur des balcons enfumés.






Marylin Manson
"The Love Song"

"I got a crush on a pretty pistol  / Should I tell her that I feel this way? / Father told us to be faithful"






Aux amis, aux amours aux emmerdes ...